Un parcours entrepreneurial d’exception

Gilles Réguillon, Président de Chamatex, a d’abord retracé son parcours et présenté Chamatex Group : ingénieur généraliste, ayant passé 12 ans chez SEB avant de fonder Hurrycat, société d’accessoires pour cycle, il intègre Chamatex en 2006, à la direction du département Tissus techniques puis à la Direction générale. En 2011, il rachète l’entreprise et amorce une stratégie de développement basée sur plusieurs leviers, notamment la croissance externe et l’innovation.

Plusieurs prises de participation et rachats d’entreprises ont conduit à constituer un groupe autour de la consolidation de la supply chain et de la diversification : Teinture des Cèdres, Moulinage de Volane, Rocle (tissu d’ameublement décoration), Moondream (tissu d’ameublement technique), TopTex3 (confection de vêtements et d’intérieurs de bagages par thermocollage, sans couture) et Insoft (fabrication traditionnelle de sneakers).

La R&D, qui s’élève progressivement à 5 % du chiffre d’affaires, permet d’enclencher une stratégie d’innovation fructueuse : après avoir développé des tissus techniques destinés auxdemain l'usine #1 - table ronde combinaisons de pilotes de F1, c’est Matryx® qui a assuré un développement fulgurant au groupe. Lancé en 2013 avec Babolat, le développement de ce textile assuré avec la société de conseil en innovation Groupe Zebra de Bertrand Barré aboutit en 2016. Multibreveté, plus léger, plus respirant, plus résistant, il révolutionne le dessus des chaussures de sport haut de gamme. La technique de tissage mise au point permet, sur une même surface, une modulation des performances (rigide à certains endroits ou plus souple, selon le besoin de confort ou de maintien). De cette manière, l’assemblage d’une chaussure s’en trouve simplifié (une trentaine d’étapes au lieu d’une centaine de manipulations sur une chaussure avec un tissu classique). Outre Babolat, Salomon, Puma, Hoka, Millet ou The North Face adoptent Matryx®. En 2020, un million de chaussures ont ainsi été fabriquées avec ce tissu.

Désormais, le groupe Chamatex emploie 320 personnes et réalise à fin 2022 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. Chamatex expédie des quantités astronomiques de Matryx® en Asie où sont fabriquées la plupart des baskets qui reviennent ensuite en Europe par conteneurs entiers. L’âme d’industriel de Gilles Réguillon, passionné par la production, vibre : pourrait-on fabriquer des chaussures de sports en France ?

 

Un collectif pour une idée un peu folle

Un échange informel entre des équipes de Groupe Zebra et de Siemens conduisent à une première réflexion : comment pourrait-on digitaliser la production de chaussures ?
Bertand Barré, fondateur de Groupe Zebra, revient sur ces premiers temps :

« Il nous fallait penser très différemment et renverser la table : en bref, et c’est la traduction de designer, il fallait concevoir différemment. On ne conçoit pas un produit destiné à une usine automatisée comme un produit fabriqué par une main d’œuvre asiatique. »

Les premières idées et développements conduisent à une conclusion : à condition de ne pas juste optimiser un existant mais bien de penser différemment, relocaliser en France une production de chaussures de sport, dans une usine ultra-moderne, c’est jouable.

Les porteurs du projet présentent l’idée à différentes marques clientes avec un premier objectif obtenir des engagements sur des volumes.
Salomon, client historique de Chamatex, est le premier à dire « banco ». Gilles Réguillon insiste :

« Sans Salomon, jamais ASF n’aurait vu le jour ! ».

Suivront Millet et Babolat. Pour Chamatex, investir 10 M€ dans cette usine s’avère au-dessus de ses seuls moyens. Le groupe va y consacrer 1 million d’euros de fonds propres et 5 millions d’endettement bancaire. Pour compléter, les équipementiers clients deviennent également parties prenantes : Salomon, Babolat et Millet y mettent chacun 400 000 euros. Siemens finance également 1,6 millions d’euros d’investissement en équipements industriels, grâce à sa branche Siemens Financial Services, sous forme de leasing. Bpifrance complète le tour de table à hauteur d’un million d’euros, de concert avec la région Auvergne-Rhône-Alpes et deux fonds, Cuir Invest et RL Invest, qui le soutiennent à hauteur de 500 000 euros. Juridiquement, ASF 4.0 est une entité à part créée en 2019, dans laquelle Chamatex Groupe a 59% du capital. Les marques ont elles 15% du capital.

Parti de zéro, sans process, sans équipes, sans produits, le projet de Gilles Réguillon peut entrer concrètement dans sa phase de réalisation. Les équipes de Siemens interviennent avec l’élaboration d’un jumeau numérique pour travailler l’implantation de l’usine et simuler les flux. La 1ère pierre de l’usine est posée en septembre 2020. Après 12 mois de chantier, elle est inaugurée le 16 septembre 2021.

Le haut degré d’automatisation de l’usine a été imaginé par les équipes de Siemens, qui était partie prenante du projet dès ses prémices. David Bayet, Directeur Région Sud-Est de Siemens Digital Industrie, indique :

« Nous avons proposé d’utiliser les technologies de l’industrie 4.0. Siemens, après avoir fournir un jumeau numérique, permettant de positionner les différents modules dans la future usine, a développé et adapté spécifiquement pour l’usine un logiciel de supervision des lignes automatisées, connectées les unes avec les autres et de collecte des données d’analyse. Il est important d’avoir un partenaire industriel, qui s’engage réellement dans le projet et construire un écosystème avec différents partenaires associés. Aujourd’hui, Siemens est très fier de contribuer à ce projet et de montrer que nous pouvons produire en France avec une valeur ajoutée qui est très importante à tous les niveaux.« 

Gilles Réguillon répond aux questions

Malgré les ressources techniques disponibles, Gilles Réguillon rappelle la nécessité d’avoir une approche rationnelle et, par exemple, de ne pas tout automatiser.
Et de citer un exemple d’un célèbre équipementier sportif allemand qui a échoué en poussant trop loin la logique d’automatisation, en recherchant par exemple un robot pour passer les lacets.
Bosch Rexroth, peu familier du marché du textile, a cependant été identifié assez vite comme un partenaire potentiel technologique innovation. Pascal Laurin, Directeur de Division Bosch Rexroth France et Directeur Industrie 4.0 Bosch précise :

« Nous avons été un apporteur de technologie 4.0 pour le projet et que nous avons collaboré avec notre site de Bosch Rodez pour la partie industrialisation. Nous avons travaillé ensemble pour comprendre leurs processus de fabrication textiles et de chaussures et avons fourni des solutions technologiques pour l’automatisation et la connectivité en milieu de travail. Je dois dire que le projet était un peu fou, mais nous avons été convaincus par la passion des personnes impliquées, l’importance du sujet de la relocalisation et le caractère concret du projet. En travaillant en étroite collaboration, nous avons pu surmonter les défis et atteindre nos objectifs technologiques pour le projet. « 

 

Une feuille de route établie et ambitieuse

L’usine ASF 4.0 est désormais sur les rails. Le carnet de commandes est plein jusqu’en 2025 avec une production qui devrait monter comme prévu à 500.000 paires annuelles. Et un nouveau client, l’allemand Puma, pour qui Chamatex fabrique déjà une collection textile made in France.
Le projet est en phase avec l’actu : la crise du Covid, la guerre en Ukraine, les tensions autour de Taïwan montrent l’intérêt de localiser de la production plus près des marchés.

« Taïwan abrite les principaux fabricants de chaussures de sport. Si jamais les choses tournaient mal avec la Chine, les grandes marques, notamment américaines, sont à la recherche de solutions pour réduire le risque »,

explique le patron de Chamatex. Aussi les projets fleurissent et laissent entrevoir l’ambition du groupe, de ses dirigeants et de ses partenaires : une nouvelle usine est en projet en France, une autre en Europe, pour mieux livrer les marques européennes mais aussi une duplication aux Etats-Unis avec une célèbre marque américaine comme premier client… Et pourquoi pas lancer et développer sa propre marque ?

Toujours avec un coup d’avance, il conclue avec un regard sur les difficultés surmontées pour faire naître ASF 4.0 :

« Quand on est très engagé, quand le risque est si grand que ça devient impossible d’échouer, on est sûr de réussir ! »

 

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